Consommation mondiale d’énergie primaire par source (1800-2019)
Depuis aussi longtemps que nous pouvons le comptabiliser, jamais nous n’avons observé la substitution d’une énergie par une autre à l’échelle mondiale (ce qui n’est pas vrai aujourd’hui à des échelles plus localisées). À chaque fois que nous avons découvert une nouvelle source d’énergie, celle-ci s’est ajoutée aux autres.
Comme vous pouvez le voir sur le graphique, plus de 80% de l’énergie que nous utilisons dans le monde (le mix énergétique mondial) est d’origine fossile. C’est-à-dire que lorsque l’on brûle ces énergies fossiles, elles émettent des gaz à effet de serre (GES) qui augmentent la quantité d’énergie solaire piégée sur Terre et contribuent ainsi au réchauffement global de la planète.
Alors que depuis 172 ans, les émissions de GES ne cessent de croître année après année, l’objectif de la transition énergétique (un aspect de la transition écologique) est double :
- Consommer de moins en moins d’énergie pour émettre moins de GES et réduire les pressions environnementales ;
- Satisfaire nos besoins en énergie avec le développement des “énergies de substitution”(ENS), aussi appelées « énergies bas-carbone ».
De nombreuses technologies existent comme : l’éolien, le solaire, les méthaniseurs, le nucléaire, l’hydraulique, la géothermie, ou encore les biocarburants…
S’il n’existe et n’existera jamais une source d’énergie qui ne génèrent pas d’impacts environnementaux, les ENS posent des problèmes bien moins graves que l’exploitation d’énergies fossiles : dérèglement climatique irréversible et remise en cause de l’habitabilité planétaire pour ne citer que cela.
Pour autant nous avons assisté à des campagnes de désinformation pour décrédibiliser l’utilité de tel ou tel moyen de production dans notre mix électrique. La campagne la plus énigmatique, c’est bien sûr celle qui a été lancée contre les éoliennes, jusqu’à être affichée dans le métro parisien. Nous allons donc voir, pourquoi les arguments avancés par ses pourfendeurs, comme ceux régulièrement avancés contre son opposant naturel, le nucléaire, participent de la même croyance.
Les faits
Parmi les impacts environnementaux qui sont reprochés aux “énergies renouvelables” (EnR), qui font partie des ENS, ni la présence de terres rares, ni l’intermittence de ces technologies ne suffisent à les disqualifier. Ces reproches sont généralement exagérés, extrêmement réducteurs sur la complexité de la transition énergétique et dès lors dépourvus de rigueur scientifique et de nuance.
En effet, de très nombreux scénarios de transition énergétique existent à l’échelle mondiale comme nationale. Les scénarios, développés par de nombreux acteurs (industriels, ONG, institutions publiques, laboratoires de recherche…), proposent des trajectoires de déploiements technologiques pour assurer la transition. Si les variables d’entrée des modèles permettant les trajectoires sont variés, et si les modèles comprennent tous des incertitudes et hypothèses discutables, tous les scénarios s’accordent sur deux choses :
- La part de l’électricité au sein du mix énergétique mondial doit atteindre au moins 50% d’ici 2050 (aujourd’hui, l’électricité ne représente que 20% du mix énergétique mondial et est encore majoritairement produite à partir d’énergie fossile et notamment de charbon) ;
- Les énergies renouvelables vont fournir la majorité de cette électricité.
Scénario de neutralité carbone de l’Agence Internationale de l’Énergie
Les croyances
Puisque les candidats des partis politiques et leurs équipes se révèlent incapables de lire ou d’interroger les experts sur le sujet, il n’est finalement pas étonnant qu’ils proposent des mesures totalement fantaisistes :
– « L’éolien ce sera seulement avec l’accord des populations », Valérie Pécresse, 17 janvier 2022.
– « J’arrête toute nouvelle construction de parc éolien et je lance un grand chantier pour les démonter », Marine Le Pen, 14 octobre 2021.
Les déclarations qui remettent en cause les EnR du côté conservateur, ne doivent pas nous faire oublier les imprécisions que nous pouvons entendre de l’autre côté de l’échiquier politique. En janvier 2020, Yannick Jadot dénonçait “l’intermittence” du nucléaire, en confondant arrêts programmés et arrêts involontaires. Le nucléaire, comme l’hydraulique ou les énergies fossiles, sont des moyens de production pilotables, contrairement aux énergies renouvelables intermittentes (EnRi) que sont le solaire et l’éolien.
On peut également se rappeler qu’en novembre 2020, Jean-Luc Mélenchon proposait tout simplement pour sortir du nucléaire “d’inventer de nouvelles énergies” et promettait une sortie de l’atome “dès 2030”. S’il est aujourd’hui plus prudent sur la question et qu’il propose dans la lignée du rapport NégaWatt de sortir du nucléaire en 2045 [5], rappelons tout de même que le rapport RTE que nous avons déjà évoqué, souligne que la question de la stabilité du réseau électrique dans les 6 scénarios proposés [6] est loin d’être tranchée…
Les possibles
Lorsque l’on construit des scénarios pour envisager le futur, on simplifie nécessairement le réel en faisant abstraction des paramètres inquantifiables ou imprévisibles, et parfois abstraction des obstacles capables de faire échouer les plans les plus solides. Pour ces raisons, les réflexions sur la transition énergétique sont des paris sur l’avenir et nécessitent de rester extrêmement prudent.
Ce qui est certain, c’est que quelle que soit la décision que prendra le ou la prochaine Présidente de la République sur la transition énergétique française, les capacités nucléaires actuelles ne nous permettent pas de pallier à la hausse de la consommation d’électricité.
Même dans l’hypothèse d’une relance de la filière nucléaire, les nouvelles capacités ne produiront pas d’effets notables avant une vingtaine d’années (2045), notamment parce que toutes les centrales nucléaires actuelles « devront fermer d’ici 2060, avec avec un « effet falaise » très marqué durant la décennie 2040 », tandis que « les nouveaux réacteurs dont la construction serait décidée aujourd’hui, entreraient en service à compter de 2035 au mieux, au rythme d’une paire tous les quatre ans. » [1]
Dès lors, tous les scénarios de transition énergétique envisagent un développement significatif des EnR et certainement pas l’arrêt de la construction d’éoliennes et de panneaux solaires. En 2021, la part de la production d’électricité d’origine éolienne était de 7% [2], soit 1% de moins que l’année précédente à cause des conditions météorologiques. Pour autant, selon le scénario médian N1 de l’étude “Futurs énergétiques” de RTE, l’éolien terrestre devrait atteindre 24% du mix électrique français en 2050.
Sachant que la production électrique française était de 522 TWh en 2021 [3] et devrait atteindre 645 TWh en 2050 [4], on parle d’une multiplication par 15 de la production d’électricité à partir d’éoliennes. Quoi qu’en disent les détracteurs, le développement de nouvelles capacités de production d’EnR, solaires comme éoliennes, est indispensable pour réussir la transition.
Les systèmes énergétiques étant des ouvrages qui se pensent et s’élaborent sur des échelles temporelles de l’ordre de plusieurs décennies, de solides connaissances sur les perspectives d’évolution de la consommation énergétique ainsi que sur les contraintes industrielles, sécuritaires, économiques et temporelles sont nécessaires.
Les déstabilisations énergétiques et agricoles liées à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à la forte sécheresse qui frappe les trois quart de l’Europe ou encore à celle qui frappe l’Inde et le Pakistan, ne font que rappeler le peu de résilience de nos sociétés mondialisées et interdépendantes. S’il est certain que l’absence de planification nous conduit droit vers le chaos, l’illusion du contrôle nous y précipite encore plus vite.
📌 Notes de bas de page :
[1] RTE-France, “Futurs Énergétiques 2050 – Résumé Exécutif”, octobre 2021, p. 26.
[2] Connaissance des Énergies, “Bilan électrique de la France en infographies : que retenir de 2021 ?”, 25 février 2022, en ligne : https://www.connaissancedesenergies.org/bilan-electrique-de-la-france-en-infographies-que-retenir-de-2021-220225#notes .
[3] Ibid.
[4] RTE-France, “FutursÉnergétiques2050–RésuméExécutif”, octobre 2021, p. 22.
[5] Synthèse du Scénario NégaWatt 2022, p. 13.
[6] À savoir 4 scénarios qui intègrent beaucoup d’énergies renouvelables, dont le 3ème est assuré par 50% de nucléaire et 50% de renouvelable. Puis 2 autres, qui misent sur un recours massif au déploiement du nouveau nucléaire.