Climat : « Il reste 3 ans pour agir »

Alizée, militante climat du collectif « Dernière Rénovation » attachée

au filet du cours Philippe Chatrier pour alerter sur l’inaction climatique


Vraiment ?

Avant de rentrer plus en détails sur ce que ces 3 ans signifient, quelques mots d’abord sur cette formulation qui sonne comme un ultimatum.

Symptomatique d’une époque débordante de demi-vérités, de titres incisifs et de déclarations racoleuses, la forme prime souvent sur le fond en étouffant la possibilité de débats constructifs.

Si ce titre repris dans la presse peut susciter la curiosité de certains, il est à l’image des affirmations sans nuances qui participent à l’attentisme biberonné au « ça-va-pétisme » de beaucoup. Pour déjouer l’immobilisme de ces postures, Équinoxe comme bien d’autres, s’emploie à vulgariser les véritables enjeux de la transition.

Comme l’écrit Bon Pote dans son article sur Alizée, la militante climat qui a interrompu un match à Roland Garros : « nous n’avons pas 3 ans pour réduire nos émissions ou infléchir la courbe, mais 30 ans de retard. La logique est toujours la même : plus nous agissons tard, plus nous réduisons les marges de manœuvre et serons susceptibles de ne pas respecter l’Accord de Paris ».

Remise en contexte

Le troisième et dernier volet du sixième rapport d’évaluation du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Évolution du Climat), publié le 4 avril dernier, explique que les émissions devraient atteindre un pic entre 2020 et au plus tard avant 2025 dans les trajectoires modélisées à l’échelle mondiale qui limitent à 1,5°C le réchauffement climatique. D’où cette fausse idée du compte à rebours : « Il nous resterait 3 ans pour agir ».

Ce qu’il faut retenir, c’est que les émissions de GES doivent diminuer de 45% d’ici à 2030. Pour assurer l’atteinte de cet objectif ambitieux, il est nécessaire de planifier au plus vite une baisse des émissions continue et socialement juste. Néanmoins, il n’y a pas, à ce jour, de seuil établi au-delà duquel il n’y aurait plus rien à sauver… Chaque fraction de degré de réchauffement évité compte.

Ainsi, quand on regarde les trajectoires de réduction des émissions modélisées (voir ci-dessous), une formulation telle que : « il faut agir au plus vite et avec prudence, car des arbitrages extrêmement délicats nous attendent », aurait été bien plus juste. Nous devons en effet opérer une transition au moins jusqu’en 2050, et ce par paliers, pour qu’elle reste physiquement possible.

Pourquoi les efforts seront toujours nécessaires ?

Tout ne s’arrêtera pas soudainement en 2025, quoi que puissent en penser certains fantaisistes. Nous ne sommes ni dans Le Jour d’Après ni dans Don’t Look Up :

Si on loupe 1,5°C, il faudra viser 1,51°C, et ainsi de suite… En revanche, plus on agit vite, plus on évite des conséquences dramatiques

Céline Guivarch, l’une des co-autrices du dernier rapport du GIEC

C’est ce caractère d’effort perpétuel qui rend également le combat pour la transition si éreintant. Une fois nos budgets carbone consommés, il faudra continuer les efforts : diminuer notre impact sur l’environnement, protéger et restaurer la biodiversité autant que possible, adapter nos activités au changement climatique induit, etc.

Équinoxe identifie trois raisons principales et indérogeables à cette réalité crue et parfois démobilisante qu’est l’effort perpétuel : l’inertie climatique, l’inertie sociétale et notre cognition limitée.

1. L’inertie climatique : Le dioxyde de carbone (CO2), gaz émis par les activités humaines et premier responsable de l’effet de serre additionnel, mettra plus de 10 000 ans après arrêt des émissions pour être totalement dissolu dans l’océan et absorbé par les écosystèmes terrestres. Cela dépasse l’entendement, c’est plus lointain encore que les milliers d’années qui nous séparent des grandes pyramides d’Égypte. Ainsi, chaque tonne de CO2 qui n’est pas émis dans l’atmosphère sera toujours une bonne nouvelle.

2. L’inertie des sociétés : Démesurées et hyper complexes, les sociétés que l’on a créées exploitent des énergies fossiles depuis 300 ans environ (en commençant par le charbon vers 1720). Toutes les choses qui nous entourent existent parce que nous avons massivement et sans limites, utilisé les sources d’énergie les plus efficaces à notre disposition. Aujourd’hui, il faut s’en détourner car elles causent un dérèglement systémique. En sortir suppose de réinterroger nos usages, nos besoins et de s’éloigner de la surconsommation matérielle pour aller vers des plaisirs durables.

Le GIEC a été très clair en août 2021 (et depuis des années) : chaque tonne émise participe au réchauffement climatique. Si nous souhaitons éviter des points de bascule et maintenir une Terre habitable pour une majorité de ses habitant(e)s, l’atténuation et l’adaptation ne sont plus des options.

3. « L’inertie cognitive » :

Nous vivons dans une société qui procure un confort démesuré pour quelques-uns, un confort lénifiant pour beaucoup et un confort rudimentaire pour les autres. Pour autant, changer de logiciel pour désirer sauvegarder une terre habitable prend du temps. C’est non seulement une bataille intérieure, mais aussi une bataille culturelle de longue haleine. De multiples contre-récits doivent être propagés, et cela prend du temps. Ainsi, il est absolument nécessaire d’expliquer au maximum de personnes autour de nous, pourquoi il y a urgence à agir. Et dans cette urgence, se souvenir que chaque pas vers la résilience de nos sociétés est une victoire et que les victoires donnent du sens à l’action.

Et maintenant ?

Obligé de rendre des comptes au Conseil d’État sur sa trajectoire climatique, le gouvernement vante son bilan et assure que les objectifs seront tenus. Mais de nombreux observateurs dressent un tout autre constat, dont l’autorité environnementale, qui a rendu son rapport annuel le 5 mai dernier.

« La transition écologique n’est pas amorcée en France » et « les responsables restent cantonnés à des modèles à bout de souffle. »

Il n’est pas aisé de comprendre pourquoi nous avons pris du retard dans les actions à entreprendre ou pourquoi les efforts à faire sont maintenant bien plus importants que ceux qu’il aurait fallu faire si nos dirigeants avaient écouté l’état des connaissances scientifiques dans les années 90.

Il y a 10 ans, si les pays avaient agi conformément aux connaissances scientifiques, les gouvernements auraient dû réduire leurs émissions de 3,3 % par an jusqu’en 2030. Les efforts à consentir auraient pu être répartis sur une durée plus longue et ainsi faciliter l’adoption de nouveaux comportements.

Aujourd’hui, les mesures et les engagements collectifs doivent permettre une réduction des émissions de 7,6 % par an entre 2020 et 2030 si l’on veut, avec un indice de confiance élevé, limiter le dérèglement climatique à 1,5°C.

Pourtant, les plans nationaux d’action s’engagent à réduire leurs émissions annuelles à un rythme bien moins ambitieux (environ 5 % par an).

Plus nous tardons à agir, plus la quantité de CO2 que l’on peut encore émettre pour rester dans un scénario à 1,5°C se réduit. Si nous n’amorçons pas véritablement la transition d’ici à 2025, il sera alors nécessaire de réduire nos émissions de 15,5 % par an.

Une telle situation rendra l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5°C presque impossible à atteindre. Non seulement parce que les efforts demandés devront être encore plus rapides et radicaux mais aussi parce que nous aurons continué à émettre des GES et donc à bouleverser les équilibres planétaires.

Imaginez que l’atmosphère soit un grand ballon de baudruche. Que la combustion d’énergie fossile fasse gonfler ce ballon et risque de le faire exploser. Attendre, revient à laisser s’échapper les GES dans le ballon et tenter de couper les émissions au dernier moment (avec le risque que le ballon explose). Agir dès maintenant, revient à réduire progressivement la quantité de GES qui gonfle le ballon, avec une marge suffisante pour éviter qu’il explose.

Autour de +2°C de réchauffement (le moment où le ballon risque très probablement d’exploser), les risques d’effondrement des écosystèmes sont énormes et la disparition de la biodiversité drastique… Associés à cela, les coûts d’adaptation deviendront trop élevés et donc inaccessibles pour des millions de personnes. Limiter le réchauffement de la planète à 1.5°C devrait permettre de réduire considérablement les dommages causés aux économies, à l’agriculture, à la santé humaine et de manière générale au vivant.

En conclusion

La vitesse à laquelle le monde va dériver dépendra du temps que mettront les populations à saisir l’ampleur du défi et des décisions qu’il faut prendre au plus vite. Autrement dit, une partie de notre destin est toujours entre nos mains, tandis qu’une autre est déjà scellée.

Selon le GIEC, sans un renforcement des politiques actuelles, le monde se dirige vers un réchauffement de +3,2°C d’ici la fin du siècle avec des conséquences dramatiques : “Nous sommes à un tournant. Nos décisions aujourd’hui peuvent assurer un avenir vivable”, a ainsi insisté le président du GIEC, Hoesung Lee.

D’autant que les solutions sont « toutes disponibles » pour transformer en profondeur l’ensemble des secteurs et que « le volume de capitaux et de liquidités disponibles à l’échelle planétaire est suffisant pour atteindre le montant à investir », précise le dernier rapport du GIEC.

À titre d’exemple, il faudrait investir 140 milliards d’euros d’argent public par an en France, alors que la pollution de l’air, qui n’est qu’un des nombreux effets délétères de notre dépendance aux énergies fossiles, coûte déjà 100 milliards d’euros par an à l’État.

Oui, le changement doit être rapide et radical. Nous sommes là pour montrer que c’est possible. Que les solutions existent déjà. Qu’il faut surtout faire comprendre au grand public les enjeux et les ordres de grandeur afin que la transition advienne.

Que les arbitrages qui en découlent doivent être les plus éclairés et les plus démocratiques possibles. Que l’expérimentation de modèles qui respectent les limites planétaires doit être encouragée et devenir désirable pour le plus grand nombre.

Pour répondre à ce besoin d’expérimentation, de nombreux collectifs et outils pédagogiques se sont créés ces dernières années, et des expériences démocratiques ont eu lieu à toutes les échelles. La Convention Citoyenne pour le Climat est le meilleur exemple de la pertinence d’assemblées citoyennes délibératives.

Or, aucun parti politique n’est vraiment au point sur ces enjeux. C’est cette incapacité de la classe politique à saisir l’urgence de la situation qui est à l’origine de la création d’Équinoxe. Il est temps de faire porter la voix d’un parti qui s’attache à la rigueur scientifique, aux éclairages non moins importants des sciences sociales et à l’application du principe de subsidiarité en démocratie.

À tous les électrons libres qui ne trouvent plus un parti qui leur correspond, à tous les résignés, rêveurs ou bien abstentionnistes, que vous soyez engagés sur le terrain pour une cause ou mus par la nécessité d’agir, découvrez notre démarche, posez-nous des questions ou rejoignez le mouvement !



📌 Pour aller plus loin :

  • Une courte présentation audio d’un rapport rédigé par les Shifters (bénévoles du groupe de réflexion The Shift Project) qui s’intitule “Comment faire évoluer les comportements de ses proches vers des pratiques moins carbonées ?” avec un lien vers le rapport original.
  • Cette conférence, présentée par Albert Moukheiber, psychologue et neuroscientifique, vous permettra de mieux appréhender “l’inertie cognitive”.


📚 Sources :

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