Il y a presque un mois, le 8 juin dernier, c’était la journée mondiale des océans. Depuis quelques jours, la conférence des Nations Unies sur les océans (UNOC) s’est ouverte à Lisbonne. C’est donc l’occasion pour Équinoxe, de revenir sur cet objet aussi mystérieux qu’essentiel, que sont les océans.
Décrite depuis des millénaires dans les sagas et les romans, la mer est ancrée dans l’imaginaire collectif. Associée à de nombreux mythes et légendes plus ou moins tragiques, elle fascine tout comme elle fait peur. Aujourd’hui encore, ce milieu interroge car il est grandement méconnu. En effet, moins de 5% des fonds marins ont été étudiés et cartographiés. Autrement dit, on connaît mieux la surface de la Lune que nos propres océans !
L’océan : milieu essentiel au maintien de la vie sur Terre
L’océan représente 97% du volume d’eau sur Terre et recouvre 71% de sa surface. Les 5 principaux océans (Atlantique, Pacifique, Indien, Antarctique et Arctique) sont tous connectés entre eux grâce aux courants marins permettant la circulation de l’eau et toutes sortes d’échanges globaux.
Les échanges à l’échelle des mers et océans sont nombreux et multiformes : échanges énergétiques, chimiques, biologiques, de matières… Certains ont lieu au sein même de l’océan grâce au cycle de l’eau, d’autres ont lieu avec l’atmosphère (échange de dioxyde de carbone -CO2- et d’autres gaz).
Les océans peuvent ainsi stocker et relâcher d’immenses quantités de chaleur grâce aux courants marins. Par leur grande surface et profondeur (la fosse la plus profonde du monde s’enfonce à 11 000 m sous la mer, alors que la montagne la plus élevée culmine seulement à 8 848 m), ils peuvent stocker des quantités de chaleur jusqu’à 1000 fois supérieure à l’atmosphère. Ce n’est pas un hasard si les océans absorbent 93% de l’énergie qui s’accumule sur Terre [1]. Cela signifie que le réchauffement que l’on connaît de l’atmosphère n’est finalement provoqué que par une part minime (1%) du surplus d’énergie piégée sur Terre…
Bilan énergétique terrestre – La Fresque du Climat
Par ailleurs, grâce aux micro-organismes (phyto et zooplanctons) qui y vivent, l’océan produit plus de 50% de l’oxygène que nous respirons. Le phytoplancton ainsi que les micro-algues font de la photosynthèse : comme les plantes vertes présentes sur Terre, ils absorbent le dioxyde de carbone qui s’est dissous dans l’eau et produisent du dioxygène. L’océan absorbe ainsi chaque année environ 25% du CO2 émis par les activités humaines. Parmi les phénomènes permettant cette absorption massive de CO2, la circulation océanique joue un rôle majeur.
L’océan, puits de carbone naturel – La Plateforme Océan-Climat
Les océans sont aussi le support de multiples formes de vie aujourd’hui exploitées par l’humain : des micro-organismes marins (comme les micro algues telles que la spiruline), à la faune de petite taille (petits crustacés comme le krill [2], et certains coquillages), aux crustacés ainsi qu’aux plus grosses espèces aquatiques comme les poissons (les petits comme le hareng ou la sardine, jusqu’aux plus gros comme le thon ou la morue), ou les requins.
Ces animaux marins sont le premier moyen de subsistance pour plus de 3 milliards de personnes : ils constituent leur premier apport protéique [3]. Autrement dit, la pêche est essentielle à la survie de près de la moitié de la population mondiale.
L’océan : un milieu encore grandement méconnu mais déjà déréglé
Nous l’avons vu, l’océan est un milieu essentiel au maintien de la vie sur Terre, aux multiples fonctions : régulation du climat, production d’oxygène, support de la biodiversité marine, ressources alimentaires pour près de la moitié de la population mondiale… Si certaines de ces fonctions sont aujourd’hui encore peu documentées, les études sur celles qui le sont témoignent d’un dérèglement global causé par les activités humaines.
Hausse de la température de l’eau
L’océan, régulateur premier du climat, est sujet à un réchauffement. Avec le dérèglement climatique, sa température moyenne augmentera 2 à 8 fois plus vite au cours du siècle qu’elle n’a augmenté depuis 1970. Cette élévation de température, qui concernait initialement les eaux de surface, atteint aujourd’hui les eaux profondes : des écarts de températures anormaux ont maintenant été relevés jusqu’à 700m de profondeur et ce dans toutes les régions du globe. Ces changements de conditions de vie perturbent fortement la biodiversité océanique, dont une bonne part est sensible aux fortes variations.
Biodiversité océanique méconnue et déjà menacée
La biodiversité océanique microscopique est le premier maillon de la chaîne alimentaire, elle est primordiale pour les pêcheries, et par conséquent pour toute l’activité économique qui en découle. Or la connaissance de cette biodiversité est limitée. Son mode de fonctionnement, les échanges et services écosystémiques rendus, son importance biologique et enfin économique, n’est que très peu connue des décideurs et du large public. [4]
Quoiqu’il en soit, il est clairement établi que la plupart de ces micro espèces ont besoin d’ions carbonate pour créer leurs squelettes et carapaces. Ces ions carbonates sont présents dans l’eau, mais la dissolution du CO2 dans l’océan entraîne son acidification (elle est 10 fois plus rapide depuis les années 90). Dans un milieu plus acide, les ions carbonates se forment plus difficilement. Toutes ces conséquences sont encore méconnues, mais des études préliminaires mettent en évidence des malformations des micro-organismes primaires de la chaîne alimentaire. Ainsi, ces micro-espèces sont en danger, et avec elles toute la chaîne alimentaire marine, car elles en constituent les premiers maillons.
De même, en ce qui concerne la pêche, les scientifiques alertent sur le fait que les stocks de poissons ont diminué à cause de la pression trop importante sur les stocks existants (la viabilité des ressources halieutiques mondiales continue de décliner, étant passée de 90 pour cent en 1974 à 65,8 pour cent en 2017 [5]). Si l’état des stocks de certaines espèces ont pu être bien documentés, il existe encore de nombreuses espèces pour lesquelles les connaissances sont limitées et où l’impact de certaines pratiques n’est pas encore connu.
La détérioration de l’océan a des effets au delà de l’océan lui-même
Hausse du niveau des eaux et menaces pour des terres habitées et cultivées
L’augmentation de la température moyenne des océans, du fait du réchauffement climatique, induit non seulement des risques pour les écosystèmes marins, mais également pour les écosystèmes terrestres et les sociétés humaines. En effet, la fonte des glaciers (masses d’eau sur la terre) contribue de façon majeure à l’augmentation des océans : depuis 2003, le niveau marin augmente d’environ 3.27mm/an, et qui s’accélère depuis 2013, avec une estimation d’une augmentation de 4.8mm/an.
Par ailleurs, la dilatation thermique a aussi joué son rôle en agissant dans les eaux chaudes équatoriales. En effet, lorsque l’eau est chaude, elle prend plus de place ! Ces phénomènes menacent de faire disparaître de nombreuses terres cultivables ainsi que le lieu de vie de nombreuses personnes : environ 300 millions de personnes sont menacées dans les 20 années à venir. [6]
Par ailleurs, cette hausse du niveau des mers et océans conduit dans de nombreuses régions du globe à ce que de l’eau salée vienne s’infiltrer dans des ressources d’eau douce, rendant les terres inexploitables, et menaçant l’approvisionnement en eau potable. Ainsi, la hausse du niveau des océans entraînera de nombreux conflits, relatifs à l’approvisionnement en ressources comme à l’inhabitabilité de certains lieux de vie. Cela contribuera indéniablement au nombre grandissant de réfugiés climatiques. [7]
Perturbation générale du cycle de l’eau
Cycle de l’eau – Parlons sciences
Le cycle de l’eau comme présenté dans l’image ci-dessus est grandement influencé par le réchauffement climatique. Il a tendance à s’accélérer (et donc se dérégler) car une augmentation de la température atmosphérique fait fondre les glaciers plus rapidement (qui est aussi dû à l’action directe des rayons du soleil), mais crée aussi plus d’évaporation (1°C de réchauffement de l‘air à la surface de la terre (nous sommes à 1,1°C), entraîne 7% d’évaporation en plus.
Cette accélération empêche les nappes phréatiques de se remplir au même rythme que dans le passé entraînant leur assèchement progressif. Ce dérèglement du cycle de l’eau est visible avec les évènements plus extrêmes tels que les sécheresses, orages, et cyclones… qui arrivent plus souvent, ce qui à terme affecte d’autant plus les populations.
Diminution de la biomasse océanique et faim dans le monde
La diminution des espèces représentant le premier maillon de la chaîne alimentaire océanique, qui est observée depuis plusieurs années, est aussi associé à un effort de pêche plus important sur des espèces de poissons plus petites (quand les stocks des poissons carnivores tels que la morue se sont effondrés, les pêcheurs pour survivre se sont concentrés sur leurs proies, plus petites, comme le hareng [8]).
Ceci est dû au fait que les capacités de pêche, c’est-à-dire la quantité de poisson disponible dans l’océan, ont tendance à diminuer fortement. Cette diminution a plusieurs causes. D’une part, nous prélevons certaines espèces à un rythme supérieur à leur rythme de renouvellement : nous pêchons trop, et de façon trop peu sélective, ce qui affecte le taux de reproduction de certaines espèces parce que nous pêchons des individus avant qu’ils ne puissent atteindre un stade de maturité élevé (du fait d’engins de pêche non sélectifs qui prélèvent les adultes comme les juvéniles par exemple).
Ainsi, l’effort de pêche sur certaines espèces est supérieur au rendement maximum durable (RMD), qui permettrait un renouvellement des stocks. D’autre part, la diminution des capacités de pêche est aussi dûe aux détériorations des espaces de vie de nombreuses espèces marines que nous provoquons : augmentation de la pollution marine, réduction des espaces marins protégés, destruction d’espaces de vie, réduction des ressources alimentaires disponibles, perturbations des conditions de vie (température, courant, pollution sonore…), etc.
Par ailleurs, le réchauffement des eaux entraîne une migration des espèces tropicales vers les pôles et une lente disparition des écosystèmes actuels. Ce mouvement, accompagné de la disparition des récifs coralliens (qui abritent 25% de la vie marine de notre planète) dû au réchauffement, à l’acidification des océans ainsi qu’à la surpêche, aura des répercussions considérables pour les pays qui sont majoritairement dépendants de la pêche pour nourrir leur population.
Protéger les océans et mieux comprendre leurs fonctionnements
Les connaissances actuelles sur l’état de l’océan et l’impact que le changement climatique dessinent un tableau inquiétant, et appellent à un changement radical de nos pratiques. Il est indispensable de prendre en compte dès maintenant tous les enjeux de cet environnement océanique complexe afin de limiter et de s’adapter aux effets du dérèglement climatique.
Les connaissances actuelles sur l’état de l’océan et l’impact que le changement climatique dessinent un tableau inquiétant, et appellent à un changement radical de nos pratiques. Il est indispensable de prendre en compte dès maintenant tous les enjeux de cet environnement océanique complexe afin de limiter et de s’adapter aux effets du dérèglement climatique.
Pour cela, le rapport à destination des décideurs politiques Vers une présidence bleue, réalisé par un regroupement [9] d’instituts scientifiques et de fondations sur la mer, propose une série de mesures à prendre en compte pour améliorer la situation au niveau français.
Parmi celles-ci, le rapport insiste sur les différents points suivants :
- L’intérêt à agir pour limiter la perturbation du cycle de l’eau. Pour cela, il est nécessaire de voir le littoral comme une interface et donc un espace où les actions entreprises auront un effet maximal.
- Lutter contre la pollution de l’eau : le rapport propose d’augmenter le nombre des stations d’épuration en amont du littoral pour traiter les micro plastiques et les résidus médicamenteux avant qu’ils n’atteignent l’océan, ainsi qu’accompagner le changement des modèles agricoles actuels vers des modèles plus écologiques où les rejets de nitrates et phosphates seront diminués.
- La nécessité de gérer les stocks des espèces de poissons au rendement maximum durable, pour assurer un renouvellement suffisant des espèces tout en accentuant la surveillance des pêches (pour limiter les tricheries) et en régulant la pêche de loisir.
- La préservation du littoral : le rapport préconise d’avoir une artificialisation nette du littoral égale à zéro pour pouvoir préserver ces milieux sensibles et riches en biodiversité.
- Limiter les émissions de gaz à effets de serre d’origine anthropique : le rapport propose d’autres mesures pour décarboner le transport maritime et développer de nouveaux moyens de production d’énergies (éolien marin) moins carbonées.
En attendant un changement radical de nos pratiques, à commencer par la façon dont les conclusions scientifiques sont prises en compte par les dirigeants et les industriels, n’oubliez pas que le changement de civilisation à opérer est une course de fond et que vous pouvez toujours participer à une fresque océane pour en apprendre plus sur ce joyaux de la nature !
📌 Notes de bas de page :
[1] https://ocean-climate.org/sensibilisation/le-role-de-locean-dans-le-climat/
[2] https://www.dieti-natura.com/plantes-actifs/krill.html
[3] https://www.notre-planete.info/actualites/2685-record_consommation_poisson
[4] https://ocean-climate.org/services-ecosystemiques-marins-cotiers/
[5] https://www.fao.org/sustainable-development-goals/indicators/1441/fr/