La séquence qui a fait le tour des réseaux sociaux est une opportunité de revenir sur la nature problématique et complexe de pratiques extrêmement carbonées, comme l’utilisation de jets privés.
En effet, la majorité des citoyens ne maîtrise pas encore les bases de la transition écologique. Décrier les personnalités influentes peut aider à faire avancer la prise de conscience, mais n’oublions pas que leur métier n’est pas de déployer une mobilité bas-carbone et que l’objectif principal est de les embarquer avec nous pour changer l’échelle de la sensibilisation.
Le contexte et les ordres de grandeur
Lors de l’Accord de Paris, il a été décidé que l’humanité pouvait raisonnablement limiter l’augmentation de la température moyenne à la surface de la Terre à 1,5°C ou, “bien en dessous de 2°C”.
Comme le rappelle Céline Guivarch, directrice de recherche au CIRED et co-auteur du dernier rapport du GIEC, « il faut sortir de l’idée qu’en-dessous de 1,5°C, il n’y aurait pas de problème et qu’au-delà, tout d’un coup, on serait dans un autre monde. Chaque fraction de degré supplémentaire conduit à des impacts supplémentaires, des risques supplémentaires, des pertes et dommages supplémentaires et au fur et à mesure de l’augmentation, les risques deviennent de plus en plus complexes à gérer avec des seuils de possibilité d’adaptation dépassés. »
Dans cette perspective, il convient d’agir sur la réduction de nos émissions au plus vite. Pour ce faire, les scientifiques ont pu établir des budgets carbones ainsi que les trajectoires à suivre pour les respecter. Pour atteindre la neutralité carbone (émettre autant de CO2 que les écosystèmes naturels peuvent en absorber chaque année), chaque habitant de la planète doit émettre moins de 2 tonnes équivalent CO2 par an (2 tCO2e/hab/an) d’ici 2050 au plus tard.
- 2 tonnes de CO2, c’est par exemple moins que ce qu’a émis l’avion du PSG durant son A/R Paris-Nantes, ce dernier étant estimé à 3,8 tCO2e.
- En France, un habitant émet en moyenne 9,9 tCO2e par an…
- Dans le monde, un humain émet en moyenne 5 tCO2e par an...
Les émissions ne peuvent cependant pas être réduites en quelques années seulement avant 2050. Pour que la baisse soit possible, nos émissions doivent diminuer dès maintenant et de façon continue jusqu’en 2050. Selon les projections, il faudrait qu’à l’échelle mondiale, elles stagnent au plus tard en 2025 et qu’elles soient réduites d’environ 50% d’ici 2030. Tous les secteurs, toutes les activités et tous les individus sont concernés par cette baisse des émissions. C’est parce que les énergies fossiles sont le sang de nos sociétés modernes, que le changement doit être systémique. C’est de cette manière que nous pourrons maintenir un monde vivable.
À cela s’ajoute une propriété physique qui rend les émissions de CO2 (principal gaz à effet de serre (GES) émis par les humains) réellement problématiques. En effet, si nous arrêtions du jour au lendemain la totalité des émissions de CO2, il faudrait attendre 100 ans pour que 50% de ce surplus de CO2 soit évacué de l’atmosphère — et non la totalité comme on peut le lire souvent. Il faudrait ensuite attendre 1000 ans pour qu’il ne reste que 20 à 30% de ce surplus de CO2. Au bout de 10 000 ans, il resterait encore 10% du surplus. Autrement dit et à l’échelle des sociétés « modernes », il n’y a pas de retour en arrière possible une fois que le CO2 est émis.
Dans ces conditions, on comprend bien que certaines pratiques sont pour des raisons purement scientifiques, profondément incompatibles avec nos objectifs climatiques. Tandis que d’autres pratiques, selon la théorie de la brindille, sont insignifiantes et incontournables à la fois.
Que le PSG soit le premier club de Ligue 1 à officialiser l’interdiction des bouteilles en plastique est une très bonne chose. Pour autant, les alternatives existent depuis fort longtemps et le plastique reste avant tout un problème de pollution, et non de climat. En France, c’est le secteur des transports qui représente 30% des émissions de GES tandis que les déchets en représentent seulement 3%. D’où l’importance de maîtriser le sujet ainsi que les ordres de grandeur, si l’on veut agir efficacement.
Sans surprise, les mesures en place actuellement ne permettront pas de compenser tous les déplacements, les stages de pré-saison en stades climatisés au Qatar en mai dernier ou la Coupe du Monde à venir. Pour y voir plus clair et parce que c’est la première chose à faire en matière de climat, nous vous invitons à estimer votre empreinte carbone en faisant un tour sur l’excellent outil Nos Gestes Climat.
L’Opportunité
Si cette polémique est inutile aux yeux de certains, elle est au contraire très intéressante à notre sens. Elle pose effectivement la question centrale de l’injustice climatique.
Ce sont ceux qui contribuent le moins au dérèglement climatique qui sont ceux qui en souffrent le plus. En effet, les scientifiques sont formels. Chaque tonne de CO2 dans l’atmosphère participe au dérèglement climatique qui touche et tue déjà les plus précaires d’entre nous (canicules, incendies, inondations, famines, révoltes…). “Arrêtez cette folie”, nous dit Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU.
Cette polémique est donc une opportunité à deux égards :
- Former les joueurs de ligue 1 et leurs staff aux enjeux écologiques en réaffirmant leurs engagements pour le climat. Les scientifiques seraient ravis de les rencontrer pour partager leurs connaissances. Une telle sensibilisation serait d’autant plus intéressante que de nombreux footballeurs sont issus d’un milieu défavorisé et s’engagent dans le social. Ils comprendraient alors que le social et le climat sont intimement liés.
- Inspirer des millions de personnes pour accélérer la prise de conscience et le changement de comportement. Le football rassemble près d’un milliard de téléspectateurs pour ses grands événements, tandis qu’une star peut être suivie par des millions de personnes. Ce que diront et feront ces personnalités aura largement plus d’impact que tout ce que les scientifiques ont pu dire ou faire, notamment parce que ces personnalités inspirent, motivent et font rêver les gens.
Ainsi, en plus d’influencer des millions ou centaines de millions de personnes, la symbolique des plus privilégiés d’entre nous faisant l’effort de réduire leur impact écologique permettrait à beaucoup de passer à l’action et de surmonter le fameux “Action-gap”.
Pourtant, est-il vraiment envisageable que tous les trajets effectués par le PSG en l’espèce, se fassent en train et non plus en avion ? Pour l’heure, cela semble compliqué de généraliser le train pour tous les trajets du club, quand on voit les mouvements de foules suscités par ce dernier. Comme pour le Président de la République, le côté logistique et sécurité est un frein important à la généralisation de ces moyens de transport. Pour autant, il semble que le PSG prendra plus souvent le bus et le train à l’avenir.
Le vrai problème avec les organisations et personnes les plus privilégiées réside avant tout dans leur conscience des enjeux, l’utilisation de leur notoriété pour faire bouger les lignes et dans leur transparence vis-à-vis des efforts qu’ils sont prêts à consentir pour respecter une trajectoire claire de lutte contre le réchauffement climatique.
Ce qui est réellement important d’avoir à l’esprit ici, c’est que nous sommes face à des questions de justice sociale et d’exemplarité. Deux questions bien connues des sciences comportementales et incontournables quand on parle de décarbonation. Les travaux sur le sujet nous apprennent que : aussi longtemps que les plus privilégiés continueront à jouir d’un comportement qui est clairement ostentatoire, le changement de comportement à l’échelle sociétal sera fortement ralenti voire impossible à atteindre.
Pourquoi me priverais-je d’un voyage en avion quand certains en font toutes les semaines, voire tous les jours ?
En effet, si vous demandez à un citoyen de classe moyenne ou précaire de faire des efforts pour la planète, il vous répondra (dans la majorité des cas) que c’est d’abord à l’État, aux entreprises et aux plus fortunés d’en faire d’abord. C’est le fameux triangle de l’inaction.
Ainsi, il est à la fois nécessaire que les plus privilégiés fassent preuve d’exemplarité, tout comme il est nécessaire que chaque citoyen (en tout cas un maximum) fasse des efforts pour réduire son impact écologique. Répondre à la question « Qui réchauffe le climat ? », permet de comprendre pourquoi nous sommes toutes et tous obligés d’agir.
Pour ces raisons, toute communication qui consiste à dénoncer des responsables bien identifiés (les ultra-riches, les américains, les chinois, etc.) et qui permet de faire oublier la responsabilité partagée pour reconduire les efforts à plus tard (entendez-là, jamais) est stérile, voire contre productive. Elles flattent le ressentiment vis-à-vis de certaines personnes ou organisations sans prendre en compte l’aspect systémique du problème.
Pour conjurer ces raisonnements qui enferment dans l’attentisme et, dans le prolongement des appels à former les membres du gouvernement aux enjeux de la transition écologique, Équinoxe lance une pétition pour que tous les joueurs et personnels de Ligue 1 soient également formés par les scientifiques à ces enjeux. Partagez-la autour de vous, et ensemble, changeons l’échelle de la sensibilisation !