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La sobriété est-elle seulement énergétique ?
La sobriété énergétique s’oppose par nature à l’ébriété énergétique, pour la simple et bonne raison qu’elle se pense en tenant compte des limites environnementales. Ces limites sont de plusieurs natures, telles que la quantité de ressources disponibles ou la quantité de gaz à effet de serre que l’on peut décemment envoyer dans l’atmosphère.
Néanmoins, la sobriété ne se réduit pas seulement à l’utilisation d’énergie. Effectivement, les politiques de sobriété se composent d’un “ensemble de mesures et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, en matériaux et en sols, tout en garantissant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires” (GIEC).
« La sobriété ce n’est pas produire moins, c’est baisser un peu le chauffage et éviter les consommations inutiles”.
Élisabeth Borne
Cette affirmation, qui est totalement fausse, nous afflige. Il aurait peut-être suffit pour elle de lire le résumé du dernier rapport du GIEC pour s’en rendre compte. En effet, centrée sur les comportements, l’organisation et la structure de la société, la sobriété énergétique correspond bel et bien à une limitation, à un niveau suffisant, des biens et services produits et consommés. Tous les scénarios de transition à horizon 2050 accordent une place clé à cette notion de sobriété avec le même constat : repenser nos modes de consommation et de production est indispensable pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050.
Pourquoi est-ce qu’on en parle autant en ce moment ?
Après un été et un automne 2022 particulièrement chauds, le froid arrive en Europe sur fond de guerre en Ukraine. S’ajoute à cela la possibilité de coupures d’électricité (prévues pour soulager le réseau électrique), conséquence indirecte du tarissement par la Russie de ses livraisons de gaz à l’Europe… Le mix électrique français — dominé par la production d’électricité nucléaire — aurait dû être épargné contrairement à certains de ses voisins.
Pour autant, un malheureux concours de circonstances rend la situation compliquée. Alors que nous sommes en retard sur la vitesse de développement de nos capacités d’énergie renouvelable, une grande partie du parc nucléaire est fermé pour des travaux de maintenance ou des problèmes de corrosion.
Même si RTE, le gestionnaire du réseau de lignes à haute tension, juge que le risque de coupure ne surviendrait que dans des situations extrêmes et pourrait être évité en baissant légèrement la consommation nationale, la situation énergétique du pays n’a pas que des conséquences sur le réseau électrique : industries, commerçants et particuliers voient leurs factures d’énergie exploser.
C’est dans ce contexte que la sobriété refait surface dans le débat public. En pleine hausse des prix de l’énergie, Bruno Le Maire partage son souhait de faire preuve d’exemplarité en assurant que le chauffage serait réglé à 19 degrés au Ministère, et en avançant même qu’il porterait désormais des cols roulés au lieu des cravates… S’en suit Gilles Le Gendre, confiant qu’il aurait délaissé son sèche-linge pour un étendoir, ou encore quelques apparitions de la Première Ministre en doudoune…
Que retenir du Plan de Sobriété présenté par le gouvernement ?
Dès mars 2022, au début de la crise ukrainienne, l’Agence Internationale de l’Énergie nous fournissait 20 mesures pour réduire notre dépendance au gaz et pétrole tout en soulignant qu’il était nécessaire que la réduction de la consommation ne soit pas « une mesure temporaire » mais une stratégie de long terme.
L’impréparation du gouvernement dès le début de la crise l’a conduit au pied du mur. Il a donc présenté un plan bâclé évoquant uniquement la sobriété énergétique et nous voilà encore à commenter des mesures inabouties présentées en grande pompe. Par exemple, le 15 Septembre, la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher annonçait : “Nous ne demanderons jamais d’efforts aux Français en situation de précarité énergétique ou de sobriété contrainte”.
Est-ce vraiment le cas ? Sommes-nous face à des mesures de long terme?
Après lecture de ce plan présenté comme équitable, les mesures pour sortir définitivement tous les ménages de la précarité énergétique manquent alors que les mesures annoncées tendent à creuser les inégalités.
- Des mesures volontaires non contraignantes ? Oui.
- Demander à tous (y compris les plus modestes) d’effectuer les mêmes efforts (par exemple moins se chauffer) ? Oui,évidemment.
- Envoyer les gens en télétravail pour se chauffer chez eux sans aide supplémentaire ? Oui, les cols roulés et les doudounes suffisent.
- Interdire les jets privés dans un esprit de justice sociale ? Non. Prendre un jet privé plusieurs fois par jour quitte à le faire voler à vide sera donc toujours possible.
- Mettre une taxe sur le kérosène dans le secteur aérien pour s’aligner aux prix à la pompe ?Non plus. Depuis des années, il est pourtant demandé la suppression des exonérations de taxes sur le kérosène qui, de facto, subventionnent les déplacements les plus polluants des plus riches, ces derniers prenant bien plus l’avion que la moyenne des Français. Cela nous coûte pas moins de 3 milliards d’euros par an, un “pognon de dingue” qui pourrait être investi dans un plan vélo digne de ce nom à l’instar du plan présenté par le Royaume-Uni (2,2 milliards d’euros).
- Décupler le financement de l’isolation des logements pour en finir avec la précarité énergétique ? Sûrement pas. Il y a 5 millions de passoires thermiques en France et seulement 45 000 rénovations globales par an grâce à Ma Prim Renov. À ce rythme, il faudra plus d’un siècle pour en finir avec la précarité énergétique. Afin de corriger cette anomalie, seulement 100 millions € de plus sont engagés, soit à peine 2 500 rénovations globales supplémentaires par an, bien loin des moyens qui seraient nécessaires.
- Relancer les petites lignes ferroviaires et les trains de nuit pour désenclaver les territoires ruraux et proposer des alternatives aux vols intérieurs ? Encore moins. Délaissées depuis des années au profit des grandes lignes, les petites lignes sont en danger en raison d’un sous-investissement. En parallèle, on apprend de Clément Beaune que la mise en place de nouveaux trains de nuit, déjà reportée à 2022, est désormais renvoyée à 2023 : l’exécutif procrastine plus qu’il n’accélère alors que cette alternative aux lignes aériennes court-courrier présente de nombreux avantages.
- Stopper les productions agricoles et industrielles nocives pour une plus grande souveraineté alimentaire, une alimentation et un environnement plus sain ? Toujours pas.Selon le gouvernement, sécuriser en quantité similaire les importations de produits en opposition totale avec l’idée de sobriété (intrants intensifs, produits de l’industrie chimique ou de la métallurgie) est un point essentiel face à la crise actuelle.
La sobriété sans l’égalité, c’est l’austérité pour les plus pauvres
Dans son dernier rapport annuel, l’Agence internationale de l’énergie montre que les Etats s’étant engagés à atteindre la neutralité carbone n’ont pas significativement réduit leurs investissements dans les combustibles fossiles, pas davantage que les Etats n’ayant pas annoncé de tels engagements.
Alors que la sobriété est indispensable pour maintenir un monde vivable, ce que la ministre de la transition écologique a annoncé illustre la conception erronée de la sobriété par le gouvernement : un moyen de soulager le réseau électrique et de limiter les factures à court terme et non un changement de société à long terme pour atteindre la neutralité carbone dans un monde plus juste.
Au vu des mesures ci-dessus, ce plan de sobriété est présenté par le gouvernement comme une exception avant un retour à la normale. Pour eux, cela semble hors de question d’envisager “une baisse de la production”. Cette vision court-termiste ne développe pas de solutions face aux crises énergétiques et environnementales. Autrement dit, le développement des alternatives qui nous feraient sortir définitivement des énergies fossiles tout en empêchant de subir à nouveau les effets de tels crises n’est pas encore acté.
Agir, investir, anticiper
Pour le climat, les engagements et beaux discours ne suffisent pas : il faut des actions concrètes. Ce qui jouera sur le réchauffement climatique futur, ce n’est pas nos engagements théoriques de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), mais les GES que nous émettrons en pratique. Arrêtons la surenchère d’objectifs et d’engagements pompeusement formulés, et attaquons-nous enfin à la réalisation de ce à quoi nous nous sommes déjà engagés.
Pour atteindre la neutralité carbone tout en réduisant les injustices sociales, il ne suffit pas de réduire les investissements dans les combustibles fossiles. Les niveaux actuels d’investissement dans les combustibles fossiles sont incompatibles avec nos engagements climatiques, mais ils sont déjà très inférieurs à nos perspectives de demande, car à l’échelle mondiale les actions de réduction de la demande sont encore bien trop timorées.
Pour éviter les pénuries à l’avenir — et la pauvreté qui va avec, nous devons non seulement réduire les investissements dans l’offre de combustibles fossiles, mais aussi réduire la demande en énergie. C’est tout une culture de la flexibilisation des usages de l’énergie qu’il faut construire. Flexibilisation n’est pas à confondre avec précarité. Par flexibilisation, on entend surtout que la production d’électricité ne s’adaptera plus à la consommation, mais que c’est la consommation qui devra s’adapter aux sources d’énergies disponibles.
Cette dernière question est loin d’être anodine. Lorsqu’une autorité jugée illégitime et méprisante par une partie non négligeable de la population, annonce que les citoyens vont devoir se serrer la ceinture, les risques de débordement sont nombreux. En effet, le sentiment de mépris et par conséquent la défiance actuelle envers les représentants d’une autorité – qu’elle soit politique ou scientifique – est renforcée depuis des années par la circulation irrégulée d’informations, opinions, approximations et mensonges sur tout et n’importe quel sujet.
Pour réinstaurer la confiance envers les institutions, il faut modifier leur fonctionnement comme Équinoxe le propose. Il faut également créer des espaces où circulent des informations aussi objectives et nuancées que possible. Les questions qui se posent à nous sont effectivement complexes, raison pour laquelle nous ne pouvons pas lésiner sur l’acculturation aux enjeux de la transition énergétique et sociétale.
Ensemble, accélérons le mouvement !