Crédits : Mat McDermott
La COP15 sur la biodiversité s’est achevée le 19 Décembre 2022 à Montréal avec la signature d’un accord qualifié d’historique par bon nombre de parties présentes. Dans cet article, nous revenons sur les points clés qui ont animé les débats pendant et sur les avancées importantes obtenues avec ce nouvel accord.
Des négociations à la hauteur de l’enjeu ?
Tel qu’évoqué dans l’article précédent, l’enjeu de la préservation de la biodiversité est central pour les sociétés humaines. En effet, les fonctions écosystémiques (processus naturels de fonctionnement et de maintien des écosystèmes) donnent lieu à ce que nous appelons d’un point de vue anthropocentré, les “services écosystémiques”.
Ces services sont par exemple la production d’oxygène, l’épuration naturelle des eaux, la biomasse nourrissant les animaux domestiqués, pêchés ou chassés, l’activité des pollinisateurs dans les cultures, les organismes qui produisent et entretiennent l’humus, la séquestration naturelle de carbone, etc. La biodiversité n’est donc pas une fonction support des sociétés humaines.
La biodiversité est ce qui permet la vie sous toutes ses formes. D’elle, nous tirons une alimentation variée, des matières premières essentielles à notre développement, dont de nombreuses ressources immatérielles, génétiques, intellectuelles (molécules, biomimétisme), et spirituelles (inspiration artistique, bien-être psychologique, traditions ancestrales).
Or, (1) l’artificialisation de notre territoire (cause majeure de la destruction et de la fragmentation des écosystèmes), (2) la surexploitation des ressources produites par les écosystèmes, (3) le changement climatique engendré par l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, (4) les pollutions massives affectant tous les aspects de l’environnement et (5) l’introduction d’espèces non indigènes envahissantes, sont les cinq facteurs déterminants qui éradiquent la biodiversité.
Comme nous nous efforçons avec bien d’autres de le rappeler, la transition écologique est d’abord une question de changement de modèle de société avant d’être une question de transition énergétique. On peut retenir les mots du Secrétaire Général de l’ONU, Antonio Gutierres, connu pour son engagement et ses phrases chocs, qui a donné le ton dès l’ouverture de la COP15 :
“L’humanité est une arme de destruction massive contre la nature.” […]“Oublions les rêveries de certains milliardaires : il n’y a pas de planète B.”
Au même moment, nous pouvions observer un défilé de chefs d’États au Qatar pour la Coupe du Monde de Football. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, leur absence a sans doute profité à une plus grande profondeur des échanges entre délégations. Délégations, qui étaient au plus haut de leur nombre depuis que les COP biodiversité existent. Par ailleurs, la présence des chefs d’États n’est que symbolique. On peut même se demander s’ils devraient réellement s’y rendre.
La vision des peuples autochtones
Lors de son discours d’introduction, Justin Trudeau a annoncé que des projets de conservation de territoire canadien allaient être confiés directement à des populations autochtones. Un contraste saisissant avec l’interruption de ce même discours par des manifestants autochtones dénonçant l’invasion de leurs terres en scandant : “Trudeau est un colonisateur”.
En effet, cela fait des décennies que de nombreux peuples autochtones d’Asie, d’Amérique et d’Océanie demandent à avoir voix au chapitre dans les négociations menées par les différents gouvernements des parties. Leurs voix s’élèvent pour défendre des modes de vie qui ont le mérite de respecter les cycles naturels et de préserver la biodiversité. En effet, les territoires occupés par les peuples autochtones sont considérés comme des territoires préservés d’après l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques).
C’est le message que voulait faire passer l’IPBES dans son rapport en 2019, qui avait déjà analysé plus de 15 000 publications scientifiques ainsi qu’un ensemble considérable de savoirs autochtones et locaux. Et ce n’est pas un hasard dans le sens où de nouvelles études, à rebours d’une vision très répandue, montrent que depuis des millénaires une majeure partie de la surface terrestre a été façonnée par les différents collectifs qui y vivaient. Ces environnements, bel et bien « anthropisés », l’étaient de manière durable. Ce n’est que récemment, durant les deux à trois derniers siècles en particulier, que de plus en plus de ces espaces ont été appropriés, colonisés et modifiés de manière intensive voire destructive. De plus en plus de chercheurs appellent ainsi à mieux connaître, écouter et protéger les peuples autochtones, derniers représentants menacés de ces modes de vie réellement écologiques.
Parce que ces peuples réussissent à conserver les milieux dans lesquels ils vivent, le bon sens nous invite à considérer la vision des autochtones dans les accords internationaux.
“Nous ne sommes pas que des victimes de l’environnement, nous sommes aussi des solutions”
Hindou Oumarou Ibrahim
Cette année, la présence autochtone n’aura pas négligeable à la COP15, puisqu’au moins 497 des 15 723 personnes inscrites au sommet représentaient des nations ou des organisations autochtones. Si aucun de ces participants n’avait le statut de décideur, on peut néanmoins souligner que leur voix gagne du terrain.
Des avancées historiques mais toujours insuffisantes
Les négociations ont abouti à la signature d’un nouveau texte d’accord qui a été qualifié d’ambitieux par un grand nombre des parties prenantes. L’accord de « Kunming-Montréal » contient une nouvelle série de 23 objectifs cibles à l’horizon 2030 et précise aussi des grands objectifs à l’horizon 2050. Revenons sur les améliorations apportées par rapport aux accords d’Aichi que nous évoquions dans la première partie et les limites inhérentes à l’organisation des COP pour imposer un bouleversement mondial.
Utilisation des pesticides dans les systèmes agricoles
Une des principales raisons de l’extinction directe de la biodiversité est dûe à l’intensification de nos systèmes agricoles. L’agriculture conventionnelle se base sur la spécification des exploitations, une augmentation de la taille des parcelles dont les rendements sont assurés par l’ajout d’intrants chimiques dans les sols et sur les cultures : engrais et pesticides. Enfermé dans ce système, il est difficile pour un grand nombre d’exploitations d’en sortir pour des raisons majoritairement économiques.
Tout l’enjeu de la transition agricole est de passer de l’agriculture conventionnelle à “des pratiques respectueuses de la biodiversité, telles que l’intensification durable, l’agroécologie et d’autres approches innovantes contribuant à la résilience et à l’efficacité et la productivité à long terme de ces systèmes de production et à la sécurité alimentaire”. Si la réduction par deux du « risque global » lié à l’utilisation des pesticides apparaît dans le texte final, leurs défenseurs ont dû batailler face à l’opposition de pays dans lesquels le rôle des pesticides est crucial pour la stabilité de l’approvisionnement alimentaire.
Place du secteur privé
Dans le texte final, une mesure s’attaque mollement à la responsabilité du secteur privé afin de l’encourager et lui permettre de “réduire progressivement les impacts négatifs sur la biodiversité, d’augmenter les impacts positifs”.
Si la présence des entreprises est importante, notamment parce qu’elles génèrent pour les plus grosses d’entre elles, des impacts importants sur la biodiversité, nous constatons une des limites inhérentes à la recherche de compromis entre d’un côté des intérêts privés et de l’autre l’intérêt général.
Pour de nombreux dirigeants, organisations et entreprises, la biodiversité est encore vue comme une fonction support de l’économie et non comme ce qu’elle est vraiment, à savoir un prérequis à toute activité humaine. Nous notons avec désarroi, que cette vision est souvent relatée dans la presse avec de nombreux articles mentionnant que “plus de la moitié du PIB mondial dépend de la nature et de ses services”. Comme nous venons de l’expliquer, la biodiversité étant le socle de la vie, il serait plus juste d’affirmer que 100 % du PIB dépend de celle-ci.
Restauration et préservation des écosystèmes
Dans le texte final, il est question de restaurer “au moins 30% des écosystèmes [terrestres ou marins] dégradés”. Ayant préalablement mentionné les grandes causes de l’effondrement de la biodiversité, il ne vous étonnera pas qu’une mention explicite au besoin de réduction de notre consommation globale de biens et services apparaisse dans le texte final.
De plus, il faudra “faire en sorte et permettre” que 30% des territoires “soient effectivement conservés et gérés par le biais de systèmes d’aires protégées écologiquement représentatifs” à l’horizon de 2030. Même si la définition d’aires protégées peut être considéré comme large, cette mesure reste néanmoins un objectif fort.
Ressources financières
Dans le système d’habitat de la Terre que nous avons construit, protéger des terres est onéreux: moyens de surveillance, moyens d’actions, dédommagements dû à la non utilisation d’une ressource…
Une des premières étapes pour contrecarrer l’impact négatif du secteur privé est de réduire et stopper les subventions néfastes. Les accords d’Aichi mentionnaient déjà cet objectif. Pourtant, les gouvernements du G20 fournissent encore plusieurs milliards d’euros d’aides aux industries fossiles malgré les appels répétés par de nombreux groupes d’experts sur ces questions (AIE, GIEC, IPBES, etc.).
Finalement, le texte final appelle à “Identifier d’ici à 2025, et éliminer, supprimer ou réformer les incitations, y compris les subventions néfastes pour la biodiversité”. À la vue de la suite de la proposition qui impose une suppression des subventions néfastes “d’une manière proportionnée, juste, équitable et efficace”, on peut douter de l’efficacité pratique d’une telle mesure.
Ensuite, tout l’enjeu est d’éviter que les pays non développés industriellement empruntent le même chemin que les pays industrialisés. Pour autant, ces pays réclament le droit d’augmenter le niveau de vie de leur population tout en exigeant des pays historiques du Nord, des compensations financières et ce pour plusieurs raisons :
- D’abord, les pays du Nord sont historiquement ceux qui ont le plus émis de CO2, pollué la planète et détruit la biodiversité. Ils ont aussi historiquement créé un rapport de domination en utilisant les ressources de pays aujourd’hui pauvres.
- Ensuite, les conséquences du réchauffement climatique ont d’abord un impact dans ces pays, qui en plus d’avoir relativement peu contribué à la crise écologique, sont également ceux qui souffrent le plus de ces conséquences.
Comme la COP 27 sur le climat et son accord sur les pertes et dommages, cette COP15 a donné lieu à un accord historique pour que les pays développés reversent aux pays en voie de développement 18.5 milliards d’euros par an d’ici 2025 puis 27.7 milliards d’euros par an d’ici 2030. C’est le double puis le triple de l’aide internationale pour la biodiversité. Cela dit, de nombreux pays en voie de développement, notamment africains, réclamaient aux pays riches environ 92 milliards d’euros par an.
Conclusion
Ces accords présentent des points intéressants d’avancements concernant la protection de la biodiversité. Puisque aucun des objectifs d’Aichi n’ont été atteints, les pays ont défini des objectifs plus ambitieux que ceux d’il y a 10 ans. Ils ont également adopté un mécanisme de planification et de suivi commun, avec des indicateurs précis. A aussi été envisagée la révision des stratégies nationales, si les pays ne se trouvent pas sur la bonne trajectoire.
On peut pourtant déplorer que le système de suivi contrôlant le respect de ces engagements a été repoussé à plus tard. En somme, on observe des avancées notables avec une intégration des savoirs autochtones et la normalisation d’une augmentation du niveau d’aide pour les pays du sud, même si le texte est globalement moins contraignant que celui sur l’accord de Paris pour le climat.
Affaire à suivre !