Introduction
« Encore un article sur le nucléaire ?! » direz-vous sans doute en lisant le titre. Vous aurez probablement raison. Beaucoup d’encre coule sur la thématique du nucléaire pourtant ce n’est pas l’enjeu central de la transition énergétique et écologique. Néanmoins, la question du nucléaire charrie avec elle des questions importantes qu’il s’agit de traiter avec sérieux. C’est pourquoi il est malheureux d’entendre dans la plupart des débats sur le nucléaire, notamment sur les arguments techniques, toutes sortes de contre vérités, d’un côté comme de l’autre.
Si le consensus scientifique sur la faible intensité carbone de l’électricité nucléaire, le niveau de sécurité des infrastructures ou encore sa pilotabilité apparaît comme un avantage non négligeable dans la lutte contre le changement climatique, pourquoi donc les mouvements anti-nucléaires sont-ils aussi actifs ? Pourquoi certaines associations souhaitent sortir du nucléaire avant même d’entamer la réduction des énergies fossiles pourtant plus polluantes en termes de gaz à effet de serre (GES) (900 gCO2eq/kWh pour les centrales à charbon) et dangereuses en termes d’émissions de particules fines (plus de 300 000 morts/an dans l’Union Européenne) ? Comment expliquer, le choix de l’Allemagne de sortir du nucléaire en 2024 mais du charbon seulement en 2030 ? Pourquoi la Belgique vient-elle de fermer un deuxième réacteur nucléaire qui la contraint à basculer dans le gaz fossile ?
La réponse à ces questions est en fait plus historico-politique que technique.
Un consensus scientifique bien établi
Rappelons d’abord quelques points factuels sur le nucléaire.
Le nucléaire est cité dans les rapports du GIEC et de l’AIE comme faisant partie des solutions énergétiques possibles aux côtés d’autres sources d’énergie qui sont elles, incontournables : éolien, photovoltaïque, hydraulique ou encore le biogaz. Suite au rapport du JRC (Joint Research Center qui est la Commission européenne des Sciences) en Europe, le nucléaire a intégré la taxonomie verte, aux côtés — bien que les conditions soient exigeantes — des centrales au gaz.
En France, le nucléaire émet 4 à 6 gCO2eq/kWh contre environ 430 gCO2eq/kWh pour le gaz fossile. Si l’on regarde le nombre de morts causé par le nucléaire, c’est l’une des énergies les plus sûres au monde malgré le caractère impressionnant des accidents de Tchernobyl et Fukushima. Bien que perçue comme dangereuse, cette énergie n’est pas très risquée, pas plus que le solaire, les éoliennes ou les barrages hydroélectrique dans les faits (voir la figure ci-dessous).
Source: Our world in data, 2020
Le nucléaire est un bon exemple de la différence entre les notions de danger et de risque. Lorsque quelque chose, dans une configuration ou une autre, peut provoquer des dommages, on va dire qu’elle est dangereuse : un pot de fleur en équilibre sur une fenêtre par exemple. Mais pour éventuellement blesser quelqu’un, il faut qu’une personne se situe en dessous de ce pot. Il faut donc, une exposition. C’est la combinaison du danger et de l’exposition à ce danger, qui constitue le risque. Le nucléaire étant extrêmement surveillé, on se trouve face à une technologie dangereuse mais bien moins risquée que bien pour la même quantité d’énergie produite. C’est pour cela que le nucléaire peut faire partie (là où les conditions de son développement sont réunies) des solutions bas-carbone à envisager pour la transition énergétique.
L’évident rôle des énergies renouvelables intermittentes
Nous venons de rappeler ci-dessus quelques faits sur le nucléaire. Il convient de rappeler également l’intérêt crucial des EnR (éoliennes, panneaux solaires, etc.) pour la transition énergétique. La décarbonation de notre mix énergétique (c’est-à-dire la quantité totale d’énergie que nous utilisons) passera par l’électrification.
Aujourd’hui, notre électricité (ou mix électrique) ne représente que 20% du mix énergétique. Dès lors, c’est surtout les 80% d’énergie restantes — des énergies fossiles — dont il faut se passer. Ainsi, tous les scénarios dans le monde prévoient une forte augmentation de l’usage de l’électricité. En France elle ne représenterait plus seulement 25% de notre mix énergétique total, mais au moins 50%, le reste étant majoritairement assuré par de la biomasse et du gaz décarboné selon la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC).
Graphique issu de la synthèse du Rapport RTE : Futurs énergétiques 2050
Ces énergies viennent donc compléter la réponse aux besoins croissants de production d’électricité que la filière nucléaire ne peut plus assumer du fait du manque d’anticipation du renouvellement du parc nucléaire dans les années 2000 et 2010. Le recours aux énergies renouvelables intermittentes est donc d’autant plus nécessaire que nous devons à la fois compenser le manque à produire du parc nucléaire, et électrifier des usages aujourd’hui couverts par des énergies fossiles à 80%. Si nous ne développons pas massivement les énergies renouvelables, nous devrons pour conserver notre niveau de consommation actuel, compléter notre production nucléaire actuellement défaillante avec… du charbon, du gaz ou du pétrole. Selon le rapport sur la transition énergétique en France de RTE1, les éoliennes devraient représenter entre 14000 et 35000 mâts2, et les panneaux solaires entre 0,1% et 0,3% du territoire pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Datagora & Rapport de la SDES,
“Prix de l’électricité en France et dans l’Union européenne en 2021”, Octobre 2022
Un débat politique masqué
La réalité du débat sur le nucléaire n’est pas technique mais plutôt politique et peut s’expliquer par trois points majeurs liés à notre histoire politique.
Un héritage à assumer
D’une part, il s’agit pour les partis écologistes (largement situés à Gauche) de perpétuer leur tradition politique. Les partis et associations écologistes se sont pour la plupart construits dans les années 1970 dans une posture de lutte contre le nucléaire, et notamment les essais nucléaires dans le contexte de la Guerre Froide. Puis dans un second temps seulement autour de la réduction des émissions de gaz à effets de serre pour lutter contre l’urgence climatique.
Dans les années 1980, c’était davantage sur les dangers du nucléaire civil suite aux accidents de Three Miles Island (1979) et de Tchernobyl (1986), sans véritablement distinguer dans le propos nucléaire militaire et nucléaire civil. C’est notamment le cas pour la NUPES avec en particulier Europe Ecologie Les Verts, qui peine à déconstruire son discours anti-nucléaire. Toutefois, et bien que minoritaires pour le moment, on note l’émergence de militants en faveur du nucléaire dans ces partis, tandis que la majorité des français sont favorables à sa relance.
Le refus de la centralisation
D’autre part, on note que la plupart des pays ayant opté pour une sortie du nucléaire sont des États fédéraux décentralisés comme la Belgique qui a pris cette décision en 2002, l’Espagne, l’Allemagne ou bien l’Etat de Californie aux Etats-Unis. En effet, ces Etats ne sont pas centralisés et cela est également le cas pour leurs fournisseurs d’électricité. Il n’existe pas de grand fournisseur comme EDF dans ces pays. Ainsi les ENRi, comme le solaire et l’éolien, moins complexes et plus décentralisés, permettent une gestion collective et partagée entre opérateurs, élus et citoyens. Cela renforce l’acceptabilité des projets et le sentiment d’être entendu.
Il est toutefois à noter que les PRM3 et MMR4, de petits réacteurs nucléaires permettant une production adaptée à l’échelle d’une ville pourraient représenter à l’avenir un compromis de production électrique décentralisée, permettant avec tous les autres moyens existants5, de pallier directement à l’intermittence d’un réseau intégrant beaucoup d’EnRi.
Le nucléaire, une victoire de la Droite
La filière nucléaire française, l’une des plus développées au monde, est une victoire politique de la Droite. Le programme nucléaire ayant été planifié sous De Gaulle et Pompidou, pour voir le jour sous le mandat du président Giscard d’Estaing, a clairement permis à la France de mieux assurer son indépendance énergétique suite aux chocs pétroliers de 1973 et 1979. C’est donc une réussite politique de la Droite française en terme de souveraineté, mais aussi une réussite environnementale comme on s’en apercevra plus tard avec la montée en puissance des questions écologiques en limitant l’émission de gaz à effet de serre et de particules fines.
L’association entre la mise en place du parc nucléaire français et la droite de gouvernement contribue encore aujourd’hui à cristalliser le débat, la Gauche française (à l’exception du PCF) a tendance à s’opposer à cette victoire, donc au nucléaire en prônant les EnR seules. La Droite française fera exactement l’inverse en soutenant le nucléaire bien qu’elle n’ait pas construit les réacteurs nécessaires sous Chirac et Sarkozy.
Cette position caricaturale, mais bien réelle, s’est notamment manifestée lors du débat Zemmour/Mélenchon sur BFM-TV lors des présidentielles de 2022. Le soutien à telle ou telle énergie est donc devenu un marqueur idéologique. Vous êtes favorable au nucléaire, vous êtes de droite. Vous êtes favorable aux EnR, vous êtes de gauche. La limite des marqueurs idéologiques, comme celui de la fameuse “ligne des partis”, c’est qu’ils tendent à créer de la pensée mécanique, c’est-à-dire une pensée qui fait passer l’intérêt du groupe ou le consensus, avant la véracité de certaines informations.
La position d’Équinoxe
Il est clair pour nous, que la priorité est à la sortie des énergies fossiles fortement émettrices de gaz à effet de serre qui dérèglent le climat et de particules fines entraînant maladies et décès prématurés. L’enjeu principal est de sortir du monde fossile en renforçant notre indépendance énergétique. Or, toutes les énergies présentent des avantages et des inconvénients.
Le développement de l’énergie nucléaire ne concerne a priori qu’une minorité de pays dans le monde. Toutefois continuer à développer le nucléaire civil présente l’intérêt de faciliter la transition énergétique tout en sécurisant une source d’électricité bas carbone.
Dans le contexte d’urgence climatique accrue, auquel s’ajoutent des tensions géopolitiques à même de ralentir la transition énergétique, nous devons non seulement nous engager vers la sobriété énergétique mais également recourir à toutes les sources d’énergies bas carbone disponibles pour effectuer cette transition vitale. Pour citer Jean-François Carenco, le président de la Commission de régulation de l’énergie, en France, nous aurons besoin des éoliennes comme des réacteurs nucléaires : « opposer les deux est soit un mensonge, soit de la bêtise, soit de la malveillance ».
📌 Notes de bas de page :
- RTE est le gestionnaire de réseau de transport français responsable du réseau public de transport d’électricité haute tension en France métropolitaine. Sa mission fondamentale est d’assurer à tous ses clients l’accès à une alimentation électrique économique, sûre et « propre ». ↩︎
- À titre de comparaison, il y en aujourd’hui 8000 en France et on en comptait déjà plus de 28 000 éoliennes en Allemagne au 31 décembre 2021. ↩︎
- Petits Réacteurs Modulaires ou SMR pour Small Modular Reactor en anglais ↩︎
- Micro Modular Reactor ou Micro Réacteur Nucléaire en français ↩︎
- Batteries, STEP (station de transfert d’énergie par pompage), gaz décarboné, hydrogène, variation de la tension sur le réseau, flexibilisation de la demande… ↩︎
📚 Sources :
- EP18: Rejet du nucléaire : Ce que les pronucléaires ne comprennent pas – YouTube
- Le nucléaire débat et réalité : Bertrand barré
- Anti-éolien : gare au retour de flammes (revolution-energetique.com)
- Les Français et la construction de nouveaux réacteurs nucléaires (ifop.com)
- Futurs énergétiques 2050 : les scénarios de mix de production à l’étude permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 | RTE (rte-france.com)
- La pollution de l’air responsable de 300 000 morts par an dans l’UE (france24.com)