L’avortement est une constante de l’histoire. Il a été pratiqué par les femmes de toutes les sociétés et de toutes les époques, et ce quelle que soit la législation en vigueur. Aujourd’hui en France, la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) doit être célébrée comme une victoire historique pour les droits des femmes. Néanmoins, ce 28 septembre, journée mondiale du droit à l’avortement nous rappelle que ce droit n’est pas universellement acquis et que le combat est loin d’être gagné à travers le monde. 40% des femmes du monde en âge de procréer vivent encore sous le coup de lois restrictives en matière d’accès à l’IVG. En France, selon le récent baromètre du planning familial, 89% des personnes intérogées reconnaissent que des freins à l’accès à l’avortement persistent.
Symbole de l’émancipation des femmes, le droit à disposer de son corps a toujours fait partie des luttes féministes. Mais où en sommes-nous réellement ?
L’IVG en France, en Europe et dans le monde
Les trente dernières années ont vu un assouplissement progressif de la législation sur l’avortement. Aujourd’hui, 77 pays autorisent librement le recours à l’IVG, dont 60 qui l’ont autorisé au cours des 25 dernières années. Malgré cette tendance encourageante, l’accès à l’avortement ne peut être considéré comme acquis, alors que 39 000 femmes meurent chaque année à la suite d’un IVG pratiqué dans de mauvaises conditions.
En France, la tendance est positive. La France a dépénalisé l’IVG en 1975 et en mars 2024, elle devient le premier pays à inscrire cette liberté dans sa Constitution. Le texte, selon lequel : « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse » vise à interdire toute remise en cause de cette liberté par la loi. Cependant, il ne précise pas les conditions dans lesquelles cette liberté est garantie. Les modalités d’accès à l’avortement restent régies par la loi ordinaire, et rien n’empêche de modifier cette dernière pour complexifier l’accès à l’IVG. De plus, la constitutionnalisation ne résout pas la question du manque d’information et des déserts médicaux, qui demeurent des obstacles majeurs de l’accès à l’IVG en France.
En Europe, de nombreux pays ont récemment fait évoluer leur législation, comme le Luxembourg en 2014, Chypre en 2018 et l’Irlande en 2019. Aujourd’hui, 25 des 27 états membres de l’Union Européenne garantissent le droit à l’avortement sans condition. En Suède, l’avortement est même considéré comme un acte médical ordinaire, non concerné par les clauses de conscience des médecins. En Europe, l’interdiction totale demeure une exception et ne concerne que le Vatican et l’Andorre. Les conditions restent extrêmement strictes en Pologne qui autorise l’IVG qu’en cas de danger pour la vie de la mère, de viol et d’inceste, et à Malte où les femmes peuvent risquer jusqu’à 18 mois de prison.
À travers le monde, même si de nombreux États ont adopté des lois favorisant l’accès à l’IVG, il reste totalement interdit dans plusieurs régions du monde, particulièrement en Afrique et en Amérique latine. Ce droit reste d’ailleurs fragile : certains pays empruntent le chemin inverse et durcissent leur législation. Au total, quatre pays 1sont revenus en arrière ces dernières années. Au Salvador, avorter est désormais passible d’une peine de huit ans de prison. On pense également évidemment aux États-Unis, où l’arrêt de la Cour Suprême Dobbs v. Jackson de juin 2022 a révoqué la garantie fédérale du droit à l’avortement, instauré par le célèbre arrêt Roe v. Wade de 1973. Plus proche de nous, la Pologne a également subi un retour en arrière. Tout ceci est révélateur du risque de “backlash”2, le “retour de bâton conservateur”.
Outre les pays interdisant le recours à l’IVG, certains ont adopté une stratégie beaucoup plus pernicieuse en l’autorisant légalement, mais en limitant l’accès en pratique par des moyens matériels et juridiques. Les dérives de la clause de conscience en sont un exemple. En Italie, le taux de gynécologues refusant de pratiquer une IVG au nom de la clause de conscience atteint 85% dans certaines régions, contre seulement 13% dans d’autres. Ces grandes disparités affaiblissent le droit à l’avortement.
De façon générale, plusieurs ONG rapportent que les moyens matériels, numériques et financiers alloués aux campagnes anti-IVG augmentent ces dernières années. Attaques contre des centres de planning familiaux, campagnes en ligne et dans l’espace public : les mouvements anti-IVG se multiplient. Un rapport de la fondation des femmes de 2024 démontre l’ampleur et l’impact des “dynamiques de diffusion, d’amplification et de monétisation de discours anti-avortement et de désinformation relative à l’avortement” en France.
L’avortement : un combat féministe, politique et de santé publique
Le droit à l’avortement a toujours fait partie des luttes féministes. La liberté de disposer de son corps constitue une part importante des luttes pour l’émancipation des femmes et contre tous types de violences.
Aujourd’hui, force est de constater que l’information sur les droits sexuels et reproductifs laisse à désirer, notamment pour les 18-24 ans, tranche de la population ayant le plus recours à l’IVG. Si l’avancée majeure qu’a constitué la mise en place de la gratuité de la contraception pour les femmes de moins de 25 ans doit être saluée, le manque d’information conduit encore trop souvent à ce que les femmes assument seules la charge mentale et financière de la contraception.
Rappelons que l’avortement n’est pas qu’une question militante : c’est aussi un enjeu majeur de santé publique. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), près de la moitié (45%) des avortements pratiqués à travers le monde sont non sécurisés. Encore aujourd’hui, une femme meurt toutes les 9 minutes à la suite d’un avortement clandestin. Les risques sont multiples et les conséquences sur la santé physique et mentale non négligeables. : infections, hémorragies, infertilité, lésions de l’appareil génital… Alors qu’en France 25% des avortements font suite à des faits de violence, on ne peut parler “d’avortements de confort”.
En effet, plusieurs études mettent également en avant le lien entre recours à l’avortement et violences sexuelles. Malgré ces constats alarmants, les travaux académiques sur le sujet demeurent rares, ce qui freine une prise de conscience globale des professionnels de santé. Un rapport du Haut Conseil à l’Égalité (HCE) montre par exemple que peu de praticiens interrogent les femmes recourant à l’IVG sur d’éventuelles violences subies, ce qui ne permet pas de les prendre en charge.
La position d’Équinoxe
Chez Équinoxe, nous avons à cœur de faire respecter les droits des femmes et nous gardons à l’esprit que ces derniers peuvent être menacés et rapidement remis en cause. Nous aspirons à un accès universel, libre et éclairé à l’avortement, indépendamment de la situation sociale et géographique. Cela s’accompagne d’un accès renforcé à la contraception et à l’information sur les droits sexuels et reproductifs et à un meilleur suivi médical et psychologique pour les femmes ayant recours à une IVG, sachant qu’on ne peut totalement dissocier avortement et violences sexuelles3.
Dans un précédent podcast consacré à l’IVG, nous avions déjà souligné la récente fermeture de 130 centres d’IVG. Réduire les déserts médicaux apparaît comme une priorité, en particulier dans les zones rurales où l’accès à l’avortement est le plus difficile. L’accès à l’avortement doit être universel et inclure les populations les vulnérables, femmes réfugiées et mineures non accompagnées notamment. En outre, la prévention et l’information étant des facteurs clés de la santé des femmes, le développement des structures telles que le planning familial est primordial, tout en sachant que la sensibilisation concerne aussi le corps médical. Tout ceci semble aller de pair avec la fin de la logique de rentabilité des hôpitaux et des investissements massifs dans la santé. Si la constitutionalisation de l’accès à l’avortement est une indéniable victoire, nous ne pouvons négliger les difficultés pratiques concrètes que rencontrent aujourd’hui encore les femmes sollicitant une IVG.
- Les États-Unis, la Pologne, le Salvador et le Nicaragua.
↩︎ - Concept américain des luttes pour les droits de femmes, littéralement “retour en arrière”, “contrecoup”. Initialement, il désignait les stratégies mises en place par les conservateurs américains dans les années 1980-1990 en réaction au mouvement de libéralisation du droit à l’avortement.
↩︎ - Notons par exemple l’initiative de la fondation des femmes pour une “loi-cadre intégrale” contre les violences sexuelles incluant la prévention, la sensibilisation et l’accompagnement des victimes.
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