Élection présidentielle américaine : quels enjeux pour l’Europe et la France ?

Le 5 novembre prochain se tiendra l’élection présidentielle aux États-Unis. Si les citoyens américains font face à un scrutin lourd d’enjeux pour l’avenir de leur pays, l’issue de l’élection aura des répercussions significatives sur la géopolitique mondiale. Guerre en Ukraine, embrasement général au Proche-Orient, tensions latentes avec la Chine : le retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait durablement bouleverser l’ordre du monde.

Le retour des vieux démons de l’Amérique

Après le désastre des guerres de George W. Bush en Afghanistan et en Irak, les gouvernements américains successifs ont manifesté un désintérêt croissant envers le Moyen-Orient. Dans les années 2010, confronté à la montée en puissance de l’ogre chinois, le temps où le point névralgique de la géopolitique mondiale se trouvait au Moyen-Orient semble révolu. Il est temps pour la diplomatie américaine de vivre avec son temps et de se consacrer à ce qu’ils appellent “l’indo-pacifique”. C’est le pivot vers l’Asie, théorisé par Barack Obama.

L’accession au pouvoir de Donald Trump en 2016 accélère le désintérêt des États-Unis vis-à-vis de ce que ce dernier considère comme un héritage de l’ancien temps. Si son entourage parvient in extremis à l’empêcher de désengager les États-Unis de l’OTAN, son mandat se caractérise par son isolationnisme. Selon lui, les États-Unis n’ont rien à faire dans des guerres aux quatre coins de la planète, et l’état du monde n’est pas son problème. Il ne cessera de critiquer le peu de moyens financiers investi par les pays européens dans l’OTAN, qui voit comme un moyen pour ces derniers de faire payer leur protection au contribuable américain. La présidence Trump voit aussi l’accélération des tensions avec la Chine, avec notamment une guerre commerciale brutale. Notons néanmoins qu’aujourd’hui, l’hostilité envers la Chine est l’un des très rares sujets à recevoir un soutien bipartisan à Washington.

Le retrait définitif des troupes américaines d’Afghanistan, véritable débâcle survenue au début de la présidence de Joe Biden, scelle définitivement la fin de l’engagement américain au Moyen-Orient. Il est mis fin à des décennies d’échecs stratégiques et d’enlisement géopolitique et militaire : à Washington, tous les stratèges se tournent vers l’Asie. C’est là, pensent-ils, que se jouera l’avenir du monde.

Deux évènements majeurs viendront perturber cette vision. L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine et la riposte du gouvernement de Benjamin Netanyahou aux attaques terroristes du 7 octobre 2023, chaque jour un peu plus proche de dégénérer en guerre régionale, contraignent les États-Unis à se préoccuper à nouveau des affaires de l’Europe et du Moyen-Orient. S’il s’en serait peut-être bien passé, l’oncle Sam n’a pu délaisser l’ancien monde bien longtemps avant d’être appelé à la rescousse.

En Ukraine d’abord, il est apparu bien vite que le pays ne pourrait faire face à la supériorité militaire russe qu’avec une aide internationale massive. Aide que, à leur grand dam, les Européens se sont avérés incapables de fournir seuls. Il a fallu, une fois de plus, s’en remettre à la puissance militaire et financière du parapluie américain. Au Proche-Orient ensuite, bien que le gouvernement israélien soit obstinément demeuré sourd aux injonctions de la communauté internationale, y compris celles de leur allié Américain, les États-Unis sont les seuls à disposer d’un réel moyen de pression sur Benjamin Netanyahou. Plus de 65 % des armes importées par Israël le sont depuis les États-Unis, dont les moyens logistiques sont par ailleurs indispensables pour l’acheminement de l’aide humanitaire… 

La perspective d’un retour de Donald Trump et l’autonomie stratégique européenne

Le projet présidentiel de Donald Trump est sans équivoque : il compte bien poursuivre sa politique isolationniste. À de multiples reprises, il s’est engagé à stopper immédiatement l’envoi d’aide militaire en Ukraine, promettant de mettre fin au conflit “en une seule journée”. Aujourd’hui, il est clair que la fin du soutien américain serait fatale à l’Ukraine, scénario dont on ne peut mesurer pleinement les répercussions sur la géopolitique mondiale. Vladimir Poutine, mais aussi Viktor Orban ou encore Kim Jong Un, de façon générale, quand l’on connaît la proximité de Donald Trump avec les dirigeants illibéraux et les dictateurs du monde entier, on ne peut que s’inquiéter de l’état du monde sous une hypothétique deuxième présidence Trump.  

Plus que jamais, cette élection américaine et les risques qui planent sur elle mettent en lumière la nécessité criante de bâtir l’autonomie stratégique de l’Europe. Cela inclut notamment les capacités militaires et de renseignement, l’industrie de dépense, la souveraineté numérique… Nul ne peut se satisfaire du fait que notre destin soit laissé entre les mains des citoyens américains dont les intérêts sont, à l’évidence, différents des nôtres. Cela est d’autant plus préoccupant quand on connaît les errements1 de la démocratie américaine et les divisions qui règnent dans la société étasunienne.

Trop longtemps, cette question a été négligée et le parapluie américain a été perçu comme infaillible. Trop longtemps, l’Europe s’est fourvoyée. L’heure de la prise de conscience a sonné.

Équinoxe et l’autonomie stratégique européenne

Équinoxe a toujours placé la question de l’autonomie stratégique européenne au cœur de son programme. Lors des élections européennes de 2024, nous proposions notamment de renforcer les capacités de défense de l’Union Européenne et d’harmoniser l’industrie de défense entre états membres, l’objectif étant d’aller vers une force opérationnelle européenne capable de faire face à toutes les menaces du monde de demain.

Aujourd’hui, il nous semble fondamental de poursuivre la réflexion pour bâtir l’Europe de demain et garantir notre autonomie stratégique. La prise de conscience est nécessaire,  et elle est urgente : nous approchons d’un point de non retour. 

  1. Dont l’attaque contre le Capitole le 6 janvier 2021, largement encouragée par Donald Trump, est l’exemple le plus éloquent. ↩︎

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