Illustration de Kei Lam
Comme nous avons commencé à l’esquisser dans notre article précédent sur l’addiction des adultes aux écrans, il nous paraît important de rappeler que les problématiques liées à la multiplication des écrans et donc à l’augmentation de notre exposition à ceux-ci, doivent être abordées sous leur aspect systémique et non comme la somme des pratiques individuelles.
En effet, quand on parle des écrans, on parle surtout du “numérique”. Car à bien des égards, le numérique est devenu le système nerveux du capitalisme mondialisé et le prolongement des nouvelles possibilités de marchandisation du monde. Écrans de télévision, tablettes, panneaux numériques, portables, etc., nous sommes avec nos enfants, cernés par des écrans de plus en plus connectés les uns avec les autres.
À la maison
Les écrans sont entrés dans les habitudes quotidiennes des Français : 92 % des familles sont équipées d’au moins un accès Internet et ⅔ d’entre elles s’y connectent tous les jours. On observe ainsi que le temps passé sur Internet par les enfants de 1 à 6 ans a quasiment triplé en une décennie.
L’étude réalisée par l’Inserm depuis 2011, conclut à un temps d’écran quotidien moyen de 56 minutes à 2 ans, de 1h20 à 3 ans et demi, et de 1h34 à 5 ans et demi. Ces données établies à partir des déclarations des familles récoltées entre 2013 et 2017 avant la période COVID sont probablement à majorer.
Ainsi, les enfants passent presque autant de temps – voire sans doute plus, selon les âges – sur les écrans qu’à l’école. Une tendance particulièrement marquée pour les adolescents. Les 13-19 ans surfent sur Internet presque 18h par semaine, jouent à des jeux vidéo pendant 9h25 et regardent la télévision presque 9h selon une étude d’Ipsos avec Bayard/Milan et Unique Heritage Media.
Les conséquences d’une telle exposition sont connues même si elles ne peuvent être associées uniquement aux écrans : obésité infantile, retard langagier, troubles du sommeil, anxiété, stress, difficultés de concentration, et bien d’autres.
Ainsi, 88 % des jeunes (15-24 ans), s’estiment en manque de sommeil et 39 % ont des difficultés pour s’endormir. Raison pour laquelle les experts recommandent d’éteindre tous les écrans au moins une heure avant d’aller se coucher afin de favoriser l’endormissement.
À l’école
Le déploiement inconsidéré du numérique éducatif représente un véritable danger. La présence de plus en plus généralisée des écrans à l’école ne permet pas aux élèves de mieux réussir scolairement, ni d’adopter un usage raisonné du numérique. Nous n’avons pas besoin d’une instruction par le numérique : l’école doit rester un lieu dans lequel son emprise reste limitée.
Comme le dénonce la récente tribune parue en février dernier contre la numérisation de l’apprentissage :
« L’Éducation nationale met le numérique au cœur de l’instruction, valide la surexposition comme norme et appelle cela modernisation de l’école et innovation pédagogique. Mutation qu’elle impose sans consulter ni enseignants ni parents et sans l’évaluer.
[…]
Pour éduquer les citoyens de demain, le ministère n’investit pas dans l’humain mais dans la technologie.
[…]
Éduquer AU numérique n’est pas éduquer PAR le numérique. Or, aujourd’hui, c’est bien une éducation PAR le numérique qu’on développe ; l’éducation AU numérique est pour ainsi dire inexistante. »
Les enfants reçoivent leur premier smartphone en moyenne à l’âge de 9 ans et neuf mois, révèle une étude réalisée par Médiamétrie en 2020. Selon l’étude toujours, les enfants “sont très tôt propriétaires de leurs propres appareils” : console de jeu vidéo, tablette, télévision, portable.
L’ampleur du phénomène a le mérite de susciter de nombreuses réactions : le remède au-delà du repère d’âge un peu arbitraire selon les écrans, réside dans la prise de conscience et la restauration d’un dialogue autour des écrans entre enfants et parents.
« Les enfants ne sont pas accros aux écrans, c’est surtout qu’ils n’ont pas autre chose à faire et que c’est l’activité la plus simple. L’écran fait écran à la relation », explique Flore Guattari-Michau, psychologue associée à l’étude de l’Inserm citée précédemment.
« Dans ces conditions, comment accepter que l’Éducation nationale renforce surtout la dépendance au numérique, produisant davantage des consommateurs captifs que des utilisateurs avisés, avec des opinions qui se forgent plus par les algorithmes que par la réflexion. Ou comment fabriquer une pensée standardisée ?
[…]
Isolés devant des machines, comment apprendre à faire société ? Il y a de quoi s’interroger sur les véritables objectifs que nos gouvernants poursuivent à travers l’imposition de l’école numérique… »
L’école doit offrir un espace de désintoxication numérique à des élèves qui y sont de plus en plus dépendants. Cette éducation au numérique représenterait un volet parmi d’autres de la mission éducative.
À l’heure où le niveau des élèves français n’a jamais été aussi faible, comme en témoignent les chiffres du ministère de l’Éducation nationale, il est temps de réinterroger les finalités de l’école pour redonner à l’éducation et à l’instruction leur juste place dans le parcours scolaire de nos jeunes concitoyens. C’est alors, et alors seulement, que nous pourrons protéger nos enfants des nombreux dangers induits par le numérique.
Pour en savoir plus sur notre vision de la place de l’école, retrouvez notre programme ici. Ce dernier est fait d’ailleurs l’objet d’un enrichissement et d’une mise à jour. Pour nous aider dans ce travail, c’est par là.
📚 Sources :
- https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/les-plus-petits-passent-6-heures-par-semaine-sur-internet-autant-que-sur-la-television-1394549
- https://www.prevoir.com/nos-actualites/passons-nous-trop-de-temps-sur-les-ecrans
- https://www.santepubliquefrance.fr/docs/temps-d-ecran-de-2-a-5-ans-et-demi-chez-les-enfants-de-la-cohorte-nationale-elfe
- https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/leducation-nationale-renforce-la-dependance-au-numerique