La COP27 s’est clôturée il y a un peu plus d’une semaine sur un accord décisif, le fameux processus appelé « pertes et dommages » que nous évoquions dans l’article précédent. Ce mécanisme de financement concerne les pays les plus exposés aux dommages irréparables liés au dérèglement climatique. La position des pays riches (principaux responsables du réchauffement climatique) constitue face aux pays pauvres (principales victimes du dérèglement climatique), une injustice climatique.
En effet, le changement climatique touchera plus violemment les pays en voie de développement situés en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie du Sud Est et dans le Pacifique. Dans ces pays, les impacts sont et seront plus importants car ces derniers sont plus exposés tant sur le plan naturel que sociétal. Situés sur la ceinture tropicale de la Terre où il fait déjà plus chaud qu’ailleurs, l’agriculture — très sensible au changement climatique — y représente une part importante dans leur économie.
Ne disposant pas non plus des mêmes services publics, voies de transport, infrastructures de communication… que les pays riches, l’exposition aux aléas naturels se renforce et se conjugue avec la situation économique. Si dans les pays développés, la société dégage suffisamment de richesses via les autres secteurs pour absorber une bonne partie des chocs liés catastrophes, ce n’est pas le cas des pays pauvres dans lesquels en cas de crise, un grand nombre de personnes sont en difficulté.
Les impacts du changement climatique ont donc toutes les chances de renforcer les inégalités qui existent déjà entre les pays développés et les autres. Pourtant, les pays en voie de développement n’ont rien demandé. Ce sont souvent les moins responsables du changement climatique car ils consomment moins d’énergie, de matière, de surface au sol, d’eau et de nourriture par habitant que les pays développés. Ils émettent donc moins de GES responsables du réchauffement climatique. Par exemple, un chinois émet 2 fois moins de GES qu’un français. Un cambodgien, 25 fois moins.
Une infographie de @datagora.fr,@reseauactionclimat et@graine_de_possible
Si d’ailleurs l’on s’intéresse à la contribution historique des pays aux émissions de GES, on remarque que l’Amérique du Nord et l’Europe représentant 27% de la population mondiale en 1900 et 14% en 2020, totalisent pourtant 49% des émissions historiques de GES. Comme nous venons de l’expliquer, tous les pays du monde ne sont pas armés de la même manière face à ce défi.
Voilà de quoi la notion de (in)justice climatique est le nom. Et elle implique un nécessaire dédommagement des pays riches vers les pays pauvres pour que les uns assument leurs responsabilités et que les autres aient les moyens de s’y adapter. Ce sujet était LE sujet central de la COP 27. Que peut-on en retenir ?
La création d’un fond pour les pertes et dommages
L’option retenue dans la déclaration finale est le principe de la création d’un fond pour les pertes et dommages. Fanny Petitbon, responsable plaidoyer de l’association Care France, salue sur franceinfo un « virage des pays riches », qui met fin à « des décennies de blocage ». « Les pollueurs vont devoir répondre de leurs actes et payer. C’est véritablement un pas de géant vers plus de justice climatique », salue-t-elle. On peut néanmoins nuancer ce constat :
- En effet, le compte bancaire pour ce financement n’existe pas encore.
- On ne sait rien de la manière dont il sera approvisionné, il faudra attendre la prochaine COP aux Émirats Arabes Unis (…) pour le savoir.
- L’objectif des pays développés — qui se sont engagés il y a 13 ans — à mobiliser conjointement 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 n’a toujours pas été atteint (83,3 milliards ont été versés cette année-là).
- Les pays développés ne donnent pas vraiment d’argent, ils en prêtent : 71% de la dette climatique est honorée sous forme de prêts. Or, plus les pays développés tardent à payer leur “dette climatique”, plus le coût des impacts augmente.
- Le coût estimé de ces pertes et dommages est compris entre 290 et 580 milliards par an d’ici à 2030.
La finance climat
À l’origine des réflexions sur la finance climat, on retrouvait répartis à 50-50, les moyens alloués à l’adaptation et ceux alloués à l’atténuation. L’adaptation consistant à s’adapter aux conséquences (entre autres, moins d’eau et plus de sécheresses) et l’atténuation consistant à limiter les GES, par exemple en investissant dans les énergies bas carbone. De nouvelles promesses, totalisant plus de 230 millions de dollars, ont été faites au fonds d’adaptation. Là encore, on peut nuancer ces avancées :
- Le fond d’adaptation ne représente aujourd’hui que 34% de l’argent alloué, et non 50%.
- Les besoins estimés d’ici à 2030 par l’ONU sont de 250 milliards par an et (de 440 milliards d’ici à 2050).
- Cette répartition n’inclut pas les “pertes et dommages” des pays en développement, qui sont les conséquences irréversibles du réchauffement (inondations, ouragans, montées des eaux, érosion des côtes, sécheresses à répétition…).
L’objectif des 1,5°C est maintenu
L’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris est de plus en plus fragilisé, à mesure que le thermomètre monte. « Dans les scénarios que nous avons évalués, limiter le réchauffement à 1,5°C nécessite que les émissions de gaz à effet de serre plafonnent avant 2025 au plus tard », avertissaient les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) en avril.
- Le chiffre est bien repris dans la déclaration finale, mais aucun nouveau moyen n’est mentionné pour renforcer la crédibilité de cet engagement.
- Les pays qui ne sont pas dans les clous avec cette trajectoire sont juste mollement invités à mettre à jour leurs objectifs de réduction de gaz à effet de serre d’ici fin 2023.
- A l’heure actuelle, les politiques menées nous conduisent tout droit vers un réchauffement de +2,8°C, prévenait l’ONU quelques jours avant l’ouverture de la COP.
Conclusion
Comme toujours le bilan de la COP est un cache misère à côté du vide total de l’Accord sur les enjeux cruciaux : remise en cause d’un modèle économique physiquement insoutenable, sortie des énergies fossiles (toujours pas citées dans le texte final de la COP), lutte contre les inégalités et protection de la biodiversité (d’ici quelques jours va démarrer la COP15 sur la biodiversité à Montréal).
Or, toute victoire est bonne à savourer. On peut donc se réjouir qu’aient été créés des mécanismes pour financer la transition, l’adaptation et les dommages climatiques dans les pays pauvres. On peut également se réjouir que le sujet ait été traité dans les médias et également se réjouir de la montée en puissance évidente de la conscience écologique dans le monde. Les appels à l’élimination progressive des combustibles fossiles sont plus forts que jamais et ce qu’il se passe lors des COP dépasse largement les négociations entre les États. C’est l’occasion pour de nombreux acteurs de se retrouver, de se positionner et d’accélérer les transformations nécessaires.
Si nous prenons le cas de la France, le gouvernement s’est récemment engagé à sortir du traité climaticide sur la charte de l’énergie (nous y reviendrons prochainement). Néanmoins, son action est loin de se réduire à son empreinte carbone et sa voix à l’international est écoutée ! Certes, de nombreux efforts sont encore à réaliser mais notre soft power a une place de choix dans l’imaginaire collectif. La France, c’est aussi une place au Conseil de Sécurité de l’ONU, la 5ème puissance économique mondiale, le 2ème espace maritime au monde et une communauté francophone grandissante à l’internationale. Sans la surestimer, ne négligeons pas l’influence que nous pourrions avoir sur les futures négociations internationales.
À Équinoxe, nous en avons pleinement conscience.